Serge Duarte. Are you hidden in a tree ?

 

 

 

Dans les jardins de la Cité Administrative de Bruxelles, où les collectifs City Mine(d) et Nova Cinema organisent leur pleinOPENair estival, on pourra visiter, puisque c'est de parcours qu'il s'agit, le travail de Serge Duarte. Jardinier chez Valenti, il est l'auteur d'une œuvre majeure des jardins de la Cité. Développant parallèlement un questionnement à la fois social et politique de circonstance dans le cadre du pleinOPENair - dont le but est d'expérimenter des pratiques diverses, entre l'artistique et le social, sur un site potentiellement vide - , « Chaulage » est avant tout une œuvre au caractère esthétique marqué.

« Chaulage » est une installation faite à partir, autour et même au-delà des arbres des jardins Péchère. L'intervention de l'artiste tient principalement au chaulage des troncs. Partant d'un procédé technique courant - rappelons que le chaulage permet de protéger les arbres des insectes ravageurs - il met en place son travail artistique dans un cadre à la fois urbanistique et naturel.

Répondant à une architecture moderniste, les jardins de la Cité administrative développent un art où, à l'instar de l'art du jardin à la française, la géométrie prime. Accompagnant des parterres carrés, des ornementations florales strictes et précises, des bassins à la géométrie parfaite, Serge Duarte commente subtilement les caractéristiques du site et ses perspectives. Depuis les premiers pas de l'art, la question de la perspective a toujours été une préoccupation majeure des artistes. Depuis les peintures pariétales, au travers les études de volume des corps, en passant par les travaux de Pierro della Francesca, les artistes ont toujours observé cette ligne de fuite qui permet à l'homme de se centrer tant par rapport au monde lointain et inconnu que par rapport à son environnement proche. Dans les jardins, Serge Duarte tente de replacer l'homme dans une pensée du paysage. Le visiteur place son propre corps dans cette géométrie urbaine inattendue.

De manière simple et stricte Serge Duarte célèbre la géométrie du site. Son intervention sur le troncs des arbres s'unit dans un mariage heureux au travail réalisé par un artiste de l'IBGE-BIM, la taille du feuillage des arbres. Sur chaque tronc, la hauteur du tracé du chaulage est identique, respectée très précisément. De telle manière alignés, les arbres laissent apparaître une ligne d'horizon au travers la ligne de démarcation entre le blanc de la chaux et le brun de l'écorce de l'arbre.

 Paysage transformé, « Chaulage » offre au visiteur une nouvelle vision des jardins de la Cité administrative. On parle de paysage œuvré *1. Le site est à la fois support à l'œuvre et transformé par celle-ci. A l'instar de Robert Smithson, land artiste américain, Serge Duarte expose le site. Il offre au regardeur - rappel à Marcel Duchamp - la possibilité de renouveler son regard. Le principe évoque une autre artiste du land art, Nancy Holt, qui avec ses « Locators », amène le visiteur à regarder autrement le paysage. Le principe est simple, des tubes montés à hauteur d'yeux sont installés sur une plaine déserte, dans lequel le passant ne voit plus qu'une partie étriquée du paysage. Ici, la vue des jardins, transformée par la géométrie des troncs, modifie le regard porté sur le site.

Le rapport instauré vis-à-vis de l'œuvre est de l'ordre de l'intime. La rencontre, personnelle, se fait à la fois malgré et en liaison avec l'architecture imposante du site. Le visiteur est à la fois écrasé et intégré au paysage. L'expérience avec l'œuvre rappelle un texte de Tony Smith, considéré par certains comme étant à la base du Land Art. Dans ce texte, l'artiste américain décrit un voyage sur la route signifiant pour lui la fin de l'art. Or pour Robert Smithson, auteur de « Spiral Jetty », fleuron du land art, ce texte révèle un état de sensation qui marque plutôt le début de l'universalité de l'art. Avec « Chaulage », ces deux notions de sensation et d'expérience sont complètement présentes et abordables par tous aux jardins de la Cité administrative.

 

Sophie Bodarwé
Critique d'art d'aujourd'hui
et Lobbyiste culturelle